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La SOCIÉTÉ des PRÊTRES de Saint-Jacques
Un statut original
Le groupe missionnaire de Saint-Jacques a cent ans de plus que la Société du même nom. Et voila que la Société a, elle-même, parcouru un demi-siècle… Qui l’eut dit, qui l’eut cru ?
Pendant un siècle, les Missionnaires d’Haïti ont vécu et travaillé avec un statut tout à fait particulier, rare sinon unique selon Mgr J. Passicos, un canoniste qui a travaillé sur nos Constitutions. Chaque prêtre était affecté à vie à un diocèse déterminé et ne dépendait plus que de son évêque.
Au début, le Supérieur général des Spiritains puis celui des Montfortains, recevront de l’Archevêque de Port-au-Prince, les pouvoirs de vicaire général avec juridiction sur les séminaristes de la rue Lhomond et de Pontchâteau.
Par la suite et jusqu’en 1966, le Supérieur du Séminaire de St-Jacques sera lui aussi vicaire général des Évêques d’Haïti. Ceux-ci, quelque aient été leur nombre, leur nationalité, leur appartenance congréganiste, étaient juridiquement « le Supérieur collectif » du Séminaire.
Ce statut avait l’avantage d’impliquer totalement les prêtres dans leurs diocèses respectifs, mais il n’était pas sans présenter des inconvénients qui n’échapperont pas aux missionnaires des premières générations eux-mêmes.
Mgr Le RUZIC, 1899
le précurseur :
« UNE IDÉE DÉJÀ ANCIENNE »
Il y a 110 ans, dans une lettre au Chanoine EVENO, supérieur du séminaire St-Jacques, en date du 12 décembre 1899, le Père Ignace Le RUZIC, futur évêque des Cayes, parlait de la fondation d’une Société comme d’un projet déjà ancien :
« Une grande question est à l’ordre du jour : se constituer en Société. Un programme ébauché a été adressé à chaque confrère. Ce serait un peu dans le genre et sur le modèle des Missions Etrangères de Paris. C’est la vieille idée, depuis longtemps mûrie par les sages, qui essaie de se faire jour. L’avenir de la Mission, l’existence matérielle du Séminaire, son recrutement, la formation d’un clergé indigène, tout ne l’exige-t-il pas ? »
Mgr ROBERT, 1951
l’initiateur :
« L’AVENIR EST EN JEU »
Les premiers essais n’eurent pas de suite. Il faudra attendre encore une cinquantaine d’années pour que le projet se réalise. L’idée d’une « Société des Prêtres de Mgr Guilloux » a été relancée à partir de 1951 par Mgr Paul ROBERT.
L’Évêque des Gonaïves sent un certain malaise chez les responsables du Séminaire de St-Jacques. Le collectif épiscopal, à qui revient les grandes décisions, comprend des personnes qui, malgré toute leur bonne volonté, sont étrangères à la maison, à son histoire, à son esprit, à son fonctionnement.
Sur place, les missionnaires réalisent qu’il leur faut se situer de façon nouvelle dans un clergé où se font de plus en plus nombreux les prêtres originaires du pays et les membres des congrégations religieuses internationales. Pour continuer à servir à leur place l’Église d’Haïti, les missionnaires venant de St-Jacques doivent maintenant se donner une structure propre.
La ténacité, l’optimisme foncier, les qualités relationnelles de Mgr Robert ont joué un rôle déterminant dans la laborieuse fondation de la Société dont on peut dire qu’il a été véritablement « l’INITIATEUR ».
Pendant deux ans, il multiplie les contacts et les réunions encore informelles. En janvier 1952, il remet un rapport au nonce apostolique en Haïti, Mgr LARDONE, qui se montre très favorable au projet.
Mgr Robert a amené le P. François POIRIER, alors Supérieur de St-Jacques, à constituer un dossier et à élaborer « les grandes lignes d’un plan qui peut servir de base concrète pour des échanges d’idées et orienter les discussions vers un objectif vraiment constructif ».
Après la retraite des prêtres de Gonaïves qui ont décidé de « faire tout ce qui était possible pour tenter au moins un essai », il adresse à tous les confrères une circulaire, datée du 20 février 1953, pour leur présenter ces premières propositions et les inviter à réagir.
Les évêques ont été informés et dans leur réunion du 26 avril à Port-au-Prince, ils donnent leur accord pour que la Société se constitue « en commençant par le Séminaire de St-Jacques et les volontaires en Haïti ».
Mgr Robert profite d’un voyage en Europe pour élaborer avec le P. Poirier un « projet de Constitutions » s’inspirant de celles des Missions Etrangères de Paris. Le texte est expédié à tous les confrères. A l’occasion de sa visite « ad limina », l’Évêque rencontre les responsables des dicastères concernés et dépose le projet de Constitutions. Le Saint-Siège, l’assure-t-on, tient à ce que les missionnaires de St-Jacques continuent à servir l’Église d’Haïti. On est sensible au fait que la mise en Société fera apparaître que les prêtres haïtiens constituent vraiment le clergé diocésain.
STIMULER ET CONVAINCRE
Apparemment tout s’est passé vite et bien. Mgr Robert a reçu une lettre du Cardinal Valerio VALERI, en date du 4 octobre 1953, donnant un accord de principe pour la fondation de la Société. Cet accord ne sera jamais remis en cause. Mais maintenant que le temps est venu de passer du projet à la réalisation, les vraies difficultés vont commencer.
Pour certains, « Il est trop tard ». Les changements à réaliser, aussi bien au niveau des personnes que des structures, ont été sous-estimés. Les chances d’aboutir sont trop faibles. Alors mieux vaut laisser les choses en l’état et « finir » honorablement…
Les objections aussi bien des prêtres que des évêques se cristallisent autour d’une question que l’on présente comme un dilemme : comment les missionnaires pourront-ils maintenant relever à la fois des autorités de la Société et de celles de leur Diocèse ? Mgr Robert fait voir que le dilemme est ailleurs : entre donner ou refuser aux missionnaires de Saint-Jacques les moyens de poursuivre ensemble leur apostolat.
Monseigneur ROBERT obtient des évêques l’autorisation de faire des réunions dans chaque diocèse. Il s’emploie à redonner confiance. Il s’applique à montrer que « /a Société n’est pas une nouveauté ; c’est seulement la mise en droit de ce qui existe en fait depuis toujours ».
Dans le groupe missionnaire, on ne fera pas de discrimination entre les membres de la Société et les autres. Les Sociétaires ne revendiqueront pas un territoire particulier. La juridiction des évêques ne sera pas mise en question, pas plus que la stabilité des prêtres affectés à leur diocèse. Les éclaircissements donnés et l’ambiance fraternelle des rencontres feront leur effet auprès des confrères. Le 10 janvier 1955, les adhésions à la Société atteignaient le chiffre de 85, soit plus de la moitié des 160 missionnaires en activité.
Il fut alors décidé que Mgr ROBERT commencerait sans plus attendre les démarches en vue de l’érection canonique de la « Société de Notre-Dame du Perpétuel Secours ». Une réunion des délégués diocésains est fixée à Gonaïves pour le 13 janvier. On y met au point le « Projet de Constitutions » et on rédige le « Coutumier ». Les textes sont adressés aux évêques et à tous les confrères. On désigne un « responsable » pour chaque diocèse. Le 27 avril, le cap des 100 adhésions de principe est passé.
LE PARCOURS ROMAIN
Le Nonce en Haïti, Mgr RAIMONDI, a conseillé à Mgr ROBERT de constituer un dossier complet qu’il transmettra au Saint-Siège avec avis très favorable. Vers la même époque, le P. POIRIER est nommé Archevêque de Port-au-Prince et son passage à Rome en août 1955 laisse bien augurer de l’accueil réservé au projet.
L’année suivante, le nonce rapporte des nouvelles encourageantes : tout est en bonne voie; la S. C. des Religieux demande seulement de modifier les statuts pour faire de la Société un « Institut séculier » au terme de la Constitution « Provida Mater » de Pie XII de 1947, ce qui ne pose pas de véritables difficultés.
En octobre 1957, le P. LARRAONA, assure Mgr Robert qu’un canoniste, le P. VAN BIERVLIET met au point les Constitutions. Si son texte convient aux Pères de St-Jacques, la Congrégation pour les Religieux est prête à approuver la Société comme Institut de droit pontifical. Le problème, c’est que le sympathique rédemptoriste n’est pas pressé de fournir sa copie. En 1958. Mgr Poirier revient quand même de Rome avec le texte des Constitutions. Il le présente à la Conférence épiscopale d’Haïti qui l’autorise à prendre toutes les dispositions pour la fondation de l’Institut.
En fait, l’approbation pontificale tardera encore à venir même après que le dossier définitif aura été présenté au pape PAUL VI à l’audience du 10 novembre 1964. Mgr SAMORE, de la Secrétairerie d’Etat et Mgr PHILIPPE, de la S. C. pour les Religieux, rassurent et font patienter…
Le processus va s’accélérer en 1966. Mgr POIRIER est Supérieur général de la « Société des Prêtres de Saint-Jacques » depuis janvier 1959. Expulsé d’Haïti, en novembre 1960, il est toujours Archevêque de Port-au-Prince. Le Saint-Siège qui se dispose à nommer cinq nouveaux évêques haïtiens, demande à N.N.S.S. Poirier et Robert de renoncer à leur siège et s’engage à pourvoir efficacement à l’avenir du groupe missionnaire de St-Jacques. Mgr POIRIERoirier est convoqué à Rome. A son retour à St-Jacques, il dira sa surprise et sa satisfaction : « Tout s’est passé beaucoup mieux que je ne pouvais le croire ». De fait, « on a brûlé les dernières étapes », comme le fera remarquer plus tard le Cardinal Paul PHILIPPE.
Par décret daté du 30 avril 1966, et signé du Cardinal ANTONIUTTI, la S. C. pour les Religieux approuve l’érection de la Société des Prêtres de Saint-Jacques.
Le statut a été modifié une fois de plus. D’Institut séculier, la Société est devenue « Institut clérical à vie commune sans vœux ». Mais le changement importe peu. Il a été précisé que le décret a valeur rétroactive jusqu’à la date de la fondation en 1959.
Le 29 mai 1966, Mgr Poirier érige officiellement la Société sur la base du document romain et transfère son siège de Port-au-Prince à St-Jacques avec le bienveillant accord de Mgr André FAUVEL, évêque de Quimper. Dans une lettre du 5 juillet, le Cardinal CONFALONIERI, préfet de la Commission pour l’Amérique Latine rend hommage aux « dignes successeurs de la méritante ‘Mission d’Haïti’ dont ils s’apprêtent à continuer l’œuvre avec une nouvelle structure juridique et dans de plus vastes champs d’activité ». C’est aussi une façon de confirmer l’orientation vers le Brésil. A partir de ce moment, les problèmes canoniques et les relations avec le St-Siège ne donneront pas de graves soucis aux responsables de l’Institut. « Roma locuta est ! «
Pour traiter globalement cet aspect des choses, on vient de parcourir un dossier assez rébarbatif. Il fait au moins apparaître la force de conviction et la ténacité qui n’ont jamais cessé d’animer les promoteurs de la Société et la plupart de leurs confrères. Il faut maintenant revenir sur les événements qui ont marqué le passage d’un projet fragile et discuté à une réalité qui va prendre peu à peu forme et consistance. Les épreuves ne manqueront pas, mais elles éclaireront les enjeux.
ARCHEVÊCHÉ de PORT- au – PRINCE,
12 JANVIER 1959
Le 24 novembre 1958, Mgr Robert adresse une lettre à tous les Pères qui avaient promis leur adhésion à la Société. Il leur demandait non plus un accord de principe mais un engagement ferme qui ferait d’eux « des membres de la Société habilités à voter et disposés à prononcer le serment prévu par les Constitutions ».
Celles-ci venaient d’être révisées et mises au point par un autre canoniste-consulteur de la S. C. des Religieux, un eudiste, le P. J. HAMON. Sous le même pli, étaient adressés à chacun un bulletin d’adhésion et un bulletin de vote pour l’élection du premier supérieur général. Ce mode de suffrage par correspondance avait été conseillé par Rome.
Il faudra encore une nouvelle lettre de Mgr Robert, le 16 décembre, pour donner les derniers éclaircissements. La mention de « nouveaux champs d’apostolat » évoqués déjà par le Cardinal Gonfalonieri ne signifie pas l’abandon d’Haïti ; elle invite à envisager avec réalisme la situation des missionnaires qui pourraient être expulsés. Les Pères avaient en effet été informés d’une lettre du Ministère des Cultes à l’Archevêque de Port-au-Prince demandant qu’on ne reçoive plus de prêtres venant du Séminaire St-Jacques. Quant au serment de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, il ne faut pas le confondre avec les vœux que prononcent les religieux. Les Pères de St-Jacques restent des prêtres séculiers.
Pour que les choses soient bien claires, Mgr Robert entre dans les détails et montre que ce qui est demandé « n’est que la sanction d’une chose toute naturelle » pour des prêtres entièrement donnés à leur apostolat. Il termine en citant le mot de Mgr Poirier qui voit dans la Société le seul moyen d’assurer aux missionnaires et aux séminaristes « une situation saine, ferme et ouverte ».
Le 12 janvier 1959, à l’archevêché de Port-au-Prince, en présence de N.N.S.S. Poirier et Robert, les deux plus jeunes sociétaires de la capitale, les P.P. E. Callec et A. Gautreau procédèrent au dépouillement des bulletins d’adhésion et de vote. Les électeurs étaient au nombre de 81. Mgr François POIRIER était élu Supérieur général à une majorité dépassant largement les deux-tiers.
L’ancien supérieur du séminaire de St-Jacques, collaborateur de la première heure de « l’initiateur » de la Société, prend le relais de Mgr Robert.
Mgr POIRIER sera le « FONDATEUR » et l’organisateur de l’Institut. La complémentarité des deux hommes était si évidente que le passage de l’un à l’autre au gouvernail du groupe missionnaire n’a jamais laissé de malaise dans les esprits et les cœurs. Les premières décisions de Mgr Poirier sont de nommer le P. Yves Guéguen secrétaire général de la Société et d’annoncer la tenue d’une Assemblée générale, après les fêtes de Pâques pour élire dès que possible les assistants et compléter l’organisation.
Le 15 janvier, le Supérieur général adresse un premier message à ses confrères : « …C’est pour vous donner une consigne de circonstance : « ne solliciti sitis, ne vous troublez pas ». Si notre intention reste droite et pure, la fraternité que nous voulons former pour notre mutuel soutien sur tous les plans et pour la sauvegarde de l’avenir missionnaire de nos jeunes réussira… »
LA PREMIÈRE
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
Le 1er avril 1959, 54 prêtres de Saint-Jacques se réunissaient au Grand Séminaire de Port-au-Prince.
D’emblée, le Supérieur général invite les confrères à examiner ce que l’on peut faire concrètement pour s’entraider aux plans matériel, spirituel et intellectuel. Le même souci des questions pratiques avait fait mettre à l’ordre du jour la discussion des articles du « Coutumier ». Il ne sortira pas de ces premiers échanges des textes propres à alimenter la méditation. Mais chaque chose en son temps…
L’Assemblée devait élire les assistants. Une remarque du P. Kerhervé, étudiant en Droit canon à Rome, amène à les distinguer des supérieurs locaux qui seront nommés plus tard. Le Conseil de Mgr Poirier sera composé de Mgr Robert, des P.P. Bellec, Bellamy, Le Breton.
La réunion terminée, l’Assemblée se rend à la Chapelle du séminaire Devant le Saint Sacrement, la main sur le Livre des Evangiles que tient le Supérieur général, tous les Pères présents prononcent leur serment d’agrégation .
EXPULSIONS ET RELANCE
Les missionnaires de St-Jacques feront partie des cibles privilégiées du dictateur François DUVALIER arrivé au pouvoir en 1957. Le premier coup de semonce est donné le 20 août 1959 avec l’expulsion du P. J. MARREC et d’un Père du St-Esprit.
Mgr POIRIER est chassé le 24 novembre 1960. Il s’établit à Saint-Jacques qui devient ainsi le siège de la Société. Son auxiliaire, Mgr R. AUGUSTIN et quatre prêtres de l’archidiocèse sont bannis à leur tour le 11 janvier 1961. Le 3 février, Mgr ROBERT est arraché à son évêché des Gonaïves et assigné à résidence surveillée à Pétionville avant d’être expulsé en novembre 1962 avec onze de ses prêtres.
Les expulsions de nombreux missionnaires et la question qu’elles posaient pour l’avenir des séminaristes de St-Jacques ont rendu inévitable la recherche de nouveaux champs d’apostolat. La persécution qui aurait pu sonner le glas de la toute nouvelle Société sera au contraire l’occasion d’un renouveau que ceux qui l’ont vécu évoquent dans les pages qui suivent.
ALB