Jésus, homme de compassion
Par Père Jean Roudy DENOIS, spsj
12Il arriva près de la porte de la ville au moment où l’on emportait un mort pour l’enterrer; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule importante de la ville accompagnait cette femme. 13Voyant celle‑ci, le Seigneur fut saisi de compassion pour elle et lui dit: «Ne pleure pas. » 14Il s’approcha et toucha le cercueil; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit: «Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi.» 15Alors le mort se redressa et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. Luc 7, 12-15

La résurrection de Lazare.
L’église Saint-Sulpice à Breteuil-sur-Iton.
Un regard de compassion…
Quand on parcourt les Saintes Écritures, l’une des attitudes compatissantes de Jésus, c’est son grand sens de l’observation. Il aimait regarder, observer les gens et tout ce qui se passe dans son environnement, autour de lui. Jésus posa son regard sur lui, il l’aima. (Marc 10, 21) … l’épisode de la guérison des dix lépreux (Luc 17, 11‑19) … le beau regard qu’il portait sur la femme adultère (Jean 8, 1‑11) … les pécheurs comme Zachée (Luc 9, 1‑10). « Dès qu’on se laisse transformer par le regard de Dieu, en Jésus, ce regard, loin de nous ramener en arrière dans un passé obsédant, nous projette en avant[1]. »
Dans l’acte de regarder, il y a un contact, une relation qui s’établit avec l’autre dans l’altérité. Regarder, c’est conserver l’autre dans son cœur au‑delà de sa présence tangible. « On regarde mieux avec les yeux du cœur » répétons-nous souvent. Car notre cœur est le sanctuaire de la rencontre avec Dieu, avec soi-même et avec l’autre.
Au cours de ses trois années de ministère terrestre, Jésus était sans cesse « saisi de compassion ». En Jésus nous est manifestée la compassion, la miséricorde et l’amour de Dieu. Dans la Bible, en hébreu, les termes « compassion » et « miséricorde » ont la même intelligence sémantique. La compassion est un sentiment éprouvé en présence de la souffrance d’autrui. C’est « souffrir avec l’autre ». On ressent ce que l’autre expérimente. Sur la croix, Jésus a porté toutes les souffrances de l’humanité pour sauver toute l’humanité.
Les quatre versets du chapitre sept de l’évangile de Luc ne laissent personne indifférent. Sa lecture nous brasse et touche nos émotions jusqu’aux entrailles. Nous ne pouvons pas les lire sans faire preuve de compassion. Personnellement, à chaque fois que je les lis ou les commente, ces versets viennent me chercher dans mon rapport à l’autre et à sa réalité. « La compassion te fait voir les réalités comme elles sont; la compassion est comme la lentille du cœur: elle te fait comprendre leurs véritables dimensions.» disait le pape François dans son homélie du 17 septembre 2019, prononcée à la chapelle Sainte-Marthe.
À travers un événement local, très concret, Luc révèle l’épiphanie de la compassion universelle de Dieu médiatisée par Jésus. On voit Jésus marcher. Il se rendit à Naïm. Il est en mouvement… Il est avec d’autres. Son ministère ne l’isole pas des foules, mais le plonge dans le monde bruyant des villes. Jésus sait regarder. Il sait voir.
Dan cette foule, dans ce monde, il se rend attentif aux événements qui abîment la vie des gens, il observe, il regarde: une mère qui pleure son fils unique décédé. Le regard introduit une relation, un espace d’échanges et de communications. « Notre Dieu est un Dieu de compassion; elle est, si l’on peut dire, sa faiblesse, mais aussi sa force. Elle est ce qu’Il nous donne de meilleur: c’est la compassion qui l’a poussé à envoyer Son Fils jusqu’à nous. C’est son langage[2]».
Jésus arrivait au moment où l’on transportait un mort, un jeune, pour l’enterrer. On ne sait pas qui accompagnait la mère. Le texte parle d’une « foule importante.» Cette foule pourrait désigner un ensemble de personnes tournées vers le chagrin de la veuve. Le tragique de ce monde est notre lot. Dès l’instant où nous nous intéressons aux autres, nous croisons la peine, le chagrin, l’épreuve de ce monde… et nous ne pouvons pas rester indifférents.
Dans l’ordinaire de la vie, enterrer son père ou sa mère, c’est une étape difficile. Mais elle est encore plus marquée, révoltante, quand c’est une veuve qui enterre son jeune fils, en plus son fils unique. C’est une douleur impénétrable. On peut véritablement se demander: Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?
Jésus est atteint et se laisse regarder par la mère et toucher par sa souffrance. En la voyant, le Seigneur fut saisi de compassion pour elle. C’est l’immense compassion de Dieu pour ses enfants souffrants qui se déverse dans le regard et l’action de Jésus. La compassion de Dieu, telle que manifestée dans cette rencontre, fut pour Jésus une manière de donner la vie au jeune homme et à sa mère. Pour elle, c’est un nouvel accouchement.
Une compassion en action…
La compassion est différente de l’empathie. Dans la compassion, il peut y avoir de l’empathie, notion de la philosophie allemande développée par le philosophe allemand Rogers. Elle suppose une « capacité d’identification au patient tout en gardant sa propre identité[3]». Mais la compassion va plus loin. C’est un sentiment de bienveillance et de communion. Elle exige une implication, une action, une décision. Elle consiste à vouloir aider la personne qui souffre. La compassion est une action et non une fusion.
Dans l’évangile de Luc que nous méditons, la compassion de Jésus n’est pas une émotion qui anéantit mais une attitude, un geste, une parole, une action qui transforme et redynamise. Elle ne fait pas de l’autre un objet de pitié. Qu’importe ce qui défigure l’humain, le mal qui le ronge, Jésus vient pour donner la vie et la vie en abondance. « La compassion est un amour fort qui pousse à prendre sur soi une part de la souffrance de l’autre. La vertu de compassion consiste à être capable de s’associer le plus radicalement possible à celui qui souffre pour le soulager[4]. »
Se laissant toucher par la souffrance de la mère, Jésus peut puiser au fond de son être le geste qui sauve Il s’approcha et toucha le cercueil, la parole qui redresse: Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. Et, nous-mêmes, nous devenons disciples de Jésus lorsque nous entrons dans cette compassion pour le monde. La plus grande volonté de Jésus est de sauver l’humanité.
La rencontre avec Jésus est libératrice. Elle apaise. Jésus est capable de transformer une vie de tempête en une vie apaisée. Il est toujours du côté de ceux et celles qui souffrent. Il veut faire sa demeure dans les cœurs des abandonnés, des malades, des marginalisés. Aucune force des ténèbres ni de la mort ne peut empêcher l’action de Dieu.
Dieu n’est pas impassible, indifférent, glacé. Il est capable de pleurer, de s’émouvoir devant les souffrances qui empêchent l’humain de se réaliser pleinement. Sa compassion est action.
Un lieu de compassion…
Depuis le début de la crise sanitaire de la COVID‑19, les personnes vulnérables sont les plus touchées: les aînés dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), les malades, les personnes en situation d’itinérance[5], etc. En collaboration avec les organismes communautaires et le Diocèse de Saint Jean-Longueuil, la Ville de Longueuil a ouvert un centre de jour temporaire pour accueillir les personnes en situation d’itinérance à l’église Notre-Dame-de-grâce (Paroisse Saint-Antoine-de-Padoue) afin de leur fournir des repas, des vêtements et des services psychosociaux.
Dans son décret daté du 16 mars 2020, notre évêque, monseigneur Claude Hamelin, a interpellé tout le personnel pastoral (prêtres, et agents et agentes de pastorale) à demeurer en tenue de service et à s’engager comme bénévole dans les organismes communautaires.
J’interpelle les équipes pastorales à faire preuve de créativité et à recentrer leurs activités afin d’être prioritairement présentes sur le terrain et coresponsables avec les acteurs sociaux. Ainsi: j’invite les équipes pastorales à aller à la rencontre des organismes communautaires et à leur offrir aide et support dans les défis actuels. Mgr Claude Hamelin
Le 26 mars 2020, lors de son point de presse quotidien, le premier ministre du Québec, François Legault, a lancé un appel à la solidarité et au bénévolat: Je lance aujourd’hui un appel à tous les Québécois, pour qu’ils aillent aider d’autres Québécois qui sont mal pris. Je demande à tous ceux qui ont du temps, qui n’ont pas de symptômes et qui ont moins de 70 ans, d’aller aider.
En répondant à l’invitation de notre évêque et à l’appel du premier ministre, comme beaucoup d’agents et agentes de pastorale et de prêtres, je me suis inscrit comme bénévole au à un centre de jour temporaire tous les mardis et mercredis de 9 h 30 à 13 h 30.
Ma formation universitaire en « accompagnement psychologique » à l’Institut de formation humaine intégrale de Montréal (IFHIM) m’a permis d’accompagner et d’écouter mes frères et sœurs en situation d’itinérance dans la ville de Longueuil.
Tous les jours, le Centre accueille plus d’une vingtaine d’itinérants. À cause de la COVID‑19, les ressources en hébergement de la Ville de Longueuil sont limitées. Beaucoup d’itinérants viennent au centre de jour pour se reposer, prendre une douche ou tout simplement pour jaser, briser la solitude, prendre un café… les trois repas. Tous les itinérants sont accueillis avec respect et dignité. J’aimerais saluer le professionnalisme et le sens de l’humain des intervenants en service psychosocial. Ils sont remarquables et apportent un vrai soutien. On prend le temps d’écouter sans juger. L’écoute désintéressée facilite la relation avec l’autre dans ce qu’il est comme personne humaine.
J’ai eu de belles discussions avec l’un ou l’autre des itinérants. Ce sont des personnes humbles avec de grandes qualités humaines. Comme ils savaient que j’étais prêtre, ils s’ouvraient facilement à moi. J’ai eu quelques confidences.
Ils m’ont appris plein de choses sur l’humain, la solidarité, l’entraide mutuelle, le courage, la résilience. Ces hommes (il n’y avait que des hommes) vivent des situations douloureuses. Devant les souffrances, les angoisses, les inquiétudes, Jésus est toujours présent. J’ai porté sur eux le beau regard de Jésus. C’est-à-dire, le regard qui accueille, aime et pardonne. La compassion de se déploie dans la proximité et l’altérité.
Le bénévolat, en ce temps de pandémie, est pour moi un prolongement de mon ministère sacerdotal et pastoral au cœur du monde. Le prêtre, à la suite de Jésus, est d’abord et avant tout au service. Son ministère ne se résume pas uniquement aux célébrations des messes.
Avec les itinérants, les intervenants et les autres bénévoles, j’ai expérimenté la compassion de Jésus. Ma mission est d’être auprès de ceux et celles qui sont dans le besoin pour leur manifester la bonté et la compassion de Dieu. Accueillir, jaser et servir les repas aux itinérants, c’est aussi célébrer la compassion.
Durant tout mon bénévolat, un verset biblique habitait mon cœur, ma pensée et mes actions: Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. (Matthieu 25, 40) Oui, j’ai vu le visage du Christ dans les différents visages que j’ai pu rencontrer au centre de jour. Ce bénévolat est une école humaine riche en bonté et en spiritualité. J’ai expérimenté la compassion de Dieu.
Au‑delà de la souffrance de perdre un être cher ou de perdre son travail, cette pandémie de la COVID‑19 a fait émerger des sommets d’humanité, de solidarité et de compassion. L’humain est bon! Partout, nous avons été témoins de beaux gestes qui ont été posés, dans le respect des normes sanitaires, par l’ensemble de la population québécoise.
Une compassion missionnaire…
Dans l’Ancien et le Nouveau Testament, la compassion signifie prendre soin de l’autre. Elle renvoie à une responsabilité et à une mission. Va, et toi aussi, fais de même. (Luc 10, 37b) Nous sommes tous et toutes responsables les uns des autres. La compassion de Jésus conduit à un engagement. Elle nous sort de l’indifférence.
Nous avons à aller rencontrer les gens dans leur humanité blessée, à porter sur elle le regard du Christ, un regard de compassion qui voit les foules sans berger. Et nous aurons à prononcer des paroles et à poser des actes qui redonnent vie à nos contemporains, en leur ouvrant des chemins de conversion, des chemins d’action de grâce et de rencontre avec Jésus.
Notre mission est d’offrir au monde le visage aimant du Christ. Chaque personne baptisée est appelée à être des instruments de la compassion de Jésus pour l’humanité. Le Christ a besoin de vous, de moi, de nous. Le manque de compassion envers les plus démunis altère le lien filial qui nous a unis à Dieu par Jésus dans l’Esprit. Chacune, chacun, là où elle ou il est, peut contribuer à l’action libératrice de Dieu pour l’humanité.
Notre monde a besoin d’expérimenter la grande compassion de Dieu; et pour cela, notre témoignage est indispensable. La compassion est un réseau à alimenter sans cesse. Il faut développer partout et en tout temps une culture de la compassion.
Ne pleure pas! Tel est le message que nous aurons à communiquer avec tous ceux et celles qui attendent une parole de réconfort. Dieu n’est jamais en retard. La compassion de Jésus essuie les larmes et remet debout. Les disciples du Christ ne restent jamais à terre. Même s’ils trébuchent ou tombent, le Seigneur les relèvera. Alors le mort se redressa et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère. (Luc 7, 15)
Père Jean Roudy Denois, spsj
jeanroudy.denois@dsjl.org
[1] Guimond Richard, Dieu le Père et le salut du monde, Fides, Québec, 1998, p. 80
[2] Source internet: https://www.vaticannews.va/fr/pape-francois/messe-sainte-marthe/2019-09/pape-homelie-sainte-marthe-compassion-langage-de-dieu.html
[3] PEDINIELLI Jean-Louis, Introduction à la psychologie clinique, 2e édition, Armand Colin, Paris, 2005, p. 48.
[4] Petit dictionnaire de la charité, Secours catholique-Caritas France, Desclée de Brouwer, Paris, 1996, p. 33
[5]– Au Québec, on parle des « Itinérants » pour désigner les SDF.