« Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Homélie – Solennité du Corps et du Sang du Seigneur
La fête que nous célébrons aujourd’hui nous donne de nous plonger dans l’histoire de notre foi. Elle nous rappelle que, instituée par le Seigneur Jésus quelques moments avant sa passion, sa mort et sa résurrection, l’Eucharistie est un don et une grâce. Don et grâce que Dieu fait aux hommes et aux femmes de tout temps. Don et grâce d’un Dieu qui se donne tout entier, jusqu’à se faire nourriture en vue de la vie en plénitude. En vue de la vie éternelle :
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel :
si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.
Le pain que je donnerai, c’est ma chair,
donnée pour la vie du monde. »
Mais, voici que ce don généreux et gracieux de Dieu ne cesse de nous surprendre. Du temps du ministère public du Seigneur Jésus jusqu’à aujourd’hui dans un monde en crise, marqué par des incertitudes de toute sorte, l’Eucharistie continue d’être un mystère qui pose question. Certains y croient, d’autres en doutent, d’autres encore refusent tout simplement d’y croire. Il n’appartient à personne de juger de l’attitude des uns et des autres. Car Dieu lui-même accepte d’être interrogé par ses enfants, il se montre patient avec eux pour assurer leur croissance intégrale. En effet, dès la création du monde, il a voulu et conçu l’homme à son image et à sa ressemble. Il a voulu que ses fils et ses filles soient des enfants légitimes, des enfants libres. Voilà pourquoi, il ne s’oppose nullement aux hommes, et l’Eucharistie est la plus haute offrande qu’en Jésus Christ, Dieu fait hommes. Dieu ne se contente pas d’envoyer des messagers pour sauver les hommes. Pour sauver l’humanité entière, Dieu ne se contente pas de devenir hommes avec les hommes dans le mystère de l’Incarnation. Dans sa geste kénotique, dans le mystère de son abaissement, il propose de devenir pour chaque être humain qui le désire de vivre une entière communion avec lui, en devenant lui-même pain et boisson qui nourrit pour la vraie vie.
Ne nous méprenons pas sur nous-mêmes à prétendre pouvoir juger ceux et celles qui, d’hier à aujourd’hui, s’interrogent sur le mystère de l’Eucharistie en disant, comme le faisaient autrefois les contemporains de Jésus :
« COMMENT CELUI-LÀ
PEUT-IL NOUS DONNER SA CHAIR À MANGER ? »
Pour mettre à profit cette question rapportée par l’Évangéliste, il faudra peut-être moins juger les contemporains de Jésus, mais faire nôtre leur question, pour en faire un lieu de méditation et de contemplation, transformant l’interrogation en exclamation, en expression d’enthousiasme devant un mystère qui nous dépasse.
La première lecture, tirée du livre du Deutéronome, nous rappelle la gratuité, c’est-à-dire ce qui est donné dans l’Eucharistie à la fois par pure grâce et avec grâce. Dieu prépare le cœur de ses enfants à recevoir ses grâces. Pour communier profitablement au Corps et au Sang du Christ, il nous faut expérimenter la pauvreté, il est nécessaire de connaître le manque, tel un homme sous l’eau qui cherche de l’air, tel un enfant qui recherche désespérément ses parents, tel un amoureux dont la vie ne prend sens qu’en se sentant, qu’en se sachant aimé.
Comment ne pas penser à toutes ces personnes qui ne communient plus au Corps et au Sang du Christ ? Comment oublier ces couples de croyants qui à cause des vicissitudes de la vie se trouvent privés de la communion eucharistique ? Comment oublier tous ceux et toutes celles qui auraient souhaité ne pas s’approcher du Corps et du Sang du Christ, trop conscients de leur état de péché, trop conscients de leur éloignement vis-à-vis du Christ dans la vie de tous les jours, lucides jusqu’au soulier jusqu’à ne pas pouvoir faire un pas, mais qui, dans le désespoir ou dans un réel abandon, s’avancent pourtant pour recevoir le Pain de Dieu !
Alors se pose à nouveaux frais la question posée autrefois par les contemporains de Jésus : comment cet Homme Jésus, comment ce Dieu Puissant et Saint, comment peut-il donner à moi, pauvre pécheur, pauvre pécheresse, comment peut-il me donner son Corps à manger, et son sang à boire !
Alors, nous entendons cet autre appel de l’Eucharistie, que le Cœur de Dieu est plus grand que notre péché, que son amour est plus fort que la mort, que rien n’est trop petit, que rien n’est perdu pour Dieu.
Alors, l’Eucharistie me fait contempler ce monde nouveau dans lequel Dieu m’attend, et à la construction duquel il m’invite à participer.
Alors j’entends sa voix retentir. Celle d’une mère, celle d’un sage, celle d’une personne aimée, aimable et qui m’aime, qui ne me juge jamais, qui ne me condamne, jamais, mais qui toujours, et inlassablement m’invite à m’unir à lui par l’Eucharistie, à se fondre en moi, à investir toute ma vie, toute mon existence, tous mes désirs, tous mes rêves, tous mes efforts, toutes mes faiblesses, toutes me fragilités.
Seul en devenant parfaitement pauvres que nous parviendront à pénétrer en profondeur le mystère de l’Eucharistie. Il faudra nous libérer de toutes les scories que sont nos convictions, nos certitudes, nos habitudes, nos règles, nos valeurs, pour pouvoir vivre parfaitement l’Eucharistie, ce don que Dieu fait de lui-même aux hommes et aux hommes qui jamais ne sauraient rien mériter de tel. En redevenant pauvres, comme nous l’avons été à notre naissance, nous pourrons connaître ce que signifie gratitude et reconnaissance. Alors, nous pourrons nous approcher du Christ dans l’Eucharistie et l’accueillir comme il convient dans nos vies et dans nos existences quotidiennes, ordinaires.
L’Eucharistie c’est le sacrement de la communion parfaite, où Dieu se donne tout entier à des êtres extrêmement limités, tel un indigent, un pauvre à qui tout manque, mais, par la grâce de Dieu, par l’amour de Dieu pour ses enfants, par sa clémence et sa générosité, ces fils et ses filles deviennent théophores, porteurs et porteuse de Dieu, en même temps qu’il est porté par Dieu lui-même. Nous pouvons devenir ces porteurs de Dieu, puisqu’une femme, la première en chemin, a su le faire et nous a ouvert la voix de la confiance, de l’obéissance et de la générosité que Dieu attend de chacun de nous pour nous faire partager son intimité.
L’Eucharistie, c’est ce mystère de la foi, ce mystère de la confiance à la parole entendue et reçue, qui rend généreux à tel point que rien ne manque plus à celui ou à celle – telle la veuve de Sarepta – qui, pourtant, pour diverses raisons, serait porté à croire atteindre le fond de son abîme de misère, qui aurait cru être sur le point d’utiliser la dernière poignée de farine, la dernière goutte d’huile, pour faire le dernier pain avant d’attendre la mort implacable et imminente.
L’Eucharistie, c’est la fête d’un sursaut, celui que Dieu provoque en nous, celle de la foi qui nous est donnée, pour que nous ayons la joie dans nos cœurs, une joie vraie et abondante. L’Eucharistie, c’est Dieu qui vient allumer des étincelles d’espérance dans nos regards et dans nos cœurs, pour réaliser combien nous sommes aimés du Dieu Amour, source et aboutissement de tous nos amours.
Alors faisons tout pour accueillir ce repas de mille et une grâce qu’est l’Eucharistie. Nous y trouvons le pardon, l’appel à la conversion, la force pour nos combats, encouragement pour persévérer dans la foi, présence de Jésus très pur qui nous donne de connaître la victoire dans nos combats pour la vie véritable.
Mangeons ce Pain qui est son corps, buvons ce vin d’action de grâce qui est son sang, et nous aurons la vie en nous. La vie éternelle.
Georgino RAMEAU, spsj
Méditation pour la Solennité du Corps et du Sang du Seigneur Jésus
Sizun, 14 juin 2020