Dans la tradition de l’Église au Brésil, le mercredi des Cendres est une étape importante sur deux points. En premier lieu, il marque le début du carême, période de 40 jours préparant les chrétiens à la solennité de Pâques, et en deuxième, l’ouverture de la campagne de la Fraternité (CF), proposée par la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) depuis 1964, et qui réfléchit tous les ans sur un thème de réflexion et de travail à l’ensemble de l’Église du pays.
Organisée durant le Carême, la « campagne de fraternité » se veut être une retraite de conversion ( metanoia, en grec) pour tous les baptisés.
En effet, la conversion engage l’homme et tout l’homme. Elle ne se résume pas à un inventaire des performances en matière de jeûne, de prière et de partage. Jésus n’attend pas de nous la tenue d’une comptabilité de nos exploits au terme de 40 jours de carême. Le rite de l’imposition des cendres à l’entrée en carême : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15) est un geste pénitentiel qui marque la reconnaissance de notre situation de pécheurs et nous rappelle également notre condition de créature, ce que l’orgueil voudrait toujours nous faire oublier. Avec l’invitation à « croire à l’Évangile », la conversion demandée au début du chemin quadragésimal se précise. Il ne s’agit pas d’une simple conversion morale, d’une simple modification de nos comportements. L’enjeu est infiniment plus important et essentiel. Nous sommes invités à recevoir l’annonce de la Bonne nouvelle d’un salut qui nous est offert gratuitement, à l’accueillir, à suivre le Christ qui vient jusqu’à nous et en qui le règne de Dieu s’approche de nous.
Au 5e siècle, le Pape Léon le Grand exhortait déjà les croyants à faire la critique de leur propre état d’esprit et à faire un examen attentif des sentiments intimes de leur cœur. S’ils trouvent au fond de leur conscience quelque fruit de la charité, qu’ils ne doutent pas que Dieu est en eux. Pour devenir de plus en plus capables d’accueillir un hôte si grand, qu’ils persévèrent et qu’ils grandissent dans la miséricorde par des actes. Si en effet l’amour est Dieu, la charité ne doit connaître nulle borne, car aucune limite ne peut enfermer la divinité. (Sermon 48, 2 – 5).
Revenons à l’Eglise du Brésil ! Comment parvient-elle à organiser et à maintenir cette campagne dite de Fraternité ? quelle est la genèse de cette campagne ? Qui a eu cette intuition ? Quels en sont les enjeux ? Quel en est ?
En 1961, trois prêtres responsables de la Caritas Brésilienne ont conçu une campagne de collecte de fonds pour des activités sociales. L’activité a été baptisée campagne de fraternité et a été réalisée pour la première fois durant le carême de 1962, à Natal, État de Rio Grande do Norte. L’année suivante, seize diocèses du Nord-Est ont mené la campagne, et bien qu’ils n’aient pas été couronnés de succès, cette action a été l’embryon d’un projet annuel de la CNBB et de Église du Brésil, mené à la lumière et dans la perspective des Orientations Générales de l’Action pastorale de l’Église du pays. Depuis lors, la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) organise chaque année la campagne de la Fraternité pendant le carême.
L’un des principaux objectifs de la campagne est d’éveiller la solidarité des fidèles et de l’ensemble de la société face à un problème concret qui concerne tout le monde, et donc d’y rechercher une solution. Chaque année, un nouveau thème est choisi qui définira la réalité concrète à transformer, en plus d’une devise qui aide à illustrer le chemin à parcourir. Ce geste s’exprime à travers la collecte de solidarité, organisée le dimanche des Rameaux, dans toutes les communautés chrétiennes catholiques, sur l’ensemble du territoire national.
Il faut aussi rappeler les chants liturgiques composés et chantés durant ce temps. Imaginez 130 millions de fidèles chanter les mêmes cantiques dans 278 Diocèses ! Quel spectacle ! quelle symphonie ! Ceci dénote un grand et beau témoignage de communion ecclésiale.
Le thème proposé en 2020 est « Fraternité et vie : don et engagement ! ». Quatre mots d’une signification profonde. Fraternité : parenté, solidarité entre frères, harmonie entre humains. La vie : elle renvoie à un concept très large, mais ici la vie est en consonnance avec l’existence. Don : signifie cadeau, quelque chose de gratuit. Engagement : c’est la responsabilité. Aussi la Campagne invite-elle donc les chrétiens à prendre soin de la vie ! La vie dans ses différentes dimensions : personnelle, communautaire, sociale, écologique, politique. Le slogan « le vit, fut pris de pitié et pris soin de lui » est inspiré de la Parabole du Bon Samaritain (Lc 10, 33-34). En effet, le document de base relate la mission et l’oeuvre de Santa Dulce dos Pobres, (Sainte Dulce des pauvres) récemment canonisée.
Voir, ressentir de la compassion et de l’attention sont les verbes d’action qui mèneront ce temps de carême. Pour cela, le texte de base, divisé en trois parties, invite chaque personne, chaque groupe pastoral, mouvement, association, l’Église particulière et tout le Brésil, motivé par la Campagne de Fraternité, à voir la révolution des soins, du zèle et de la préoccupation renforcée et donc de la fraternité.
Ce regard attentif doit d’abord répondre à des questions angoissantes : que nous est-il arrivé ? Pourquoi voyons-nous et laissons-nous grandir tant de formes de violence, d’agression et de destruction ? Avons-nous vraiment perdu la valeur de la fraternité ? « Regardez la terre, voyez combien de mal ! ».
IL LE VIT
Dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10, 25-37), le prêtre et le Lévite se détournent du blessé, car ils n’ont pas de temps pour lui. Mais le Samaritain s’approche de la victime et, rempli de compassion, met à sa disposition son temps et son argent, restant avec lui à l’auberge. Il paye toutes les dépenses et promet de rembourser à l’aubergiste tout ce qu’il aura dépensé de plus pour soigner l’homme blessé.
Le regard du prêtre et du lévite sont ceux de l’indifférence. Un regard qui menace la vie. C’est un regard qui tue, blesse et vole la dignité des gens. Et quels sont ces regards qui tuent et affectent la vie ? L’avortement, la migration forcée et les guerres qui génèrent des milliers d’enfants orphelins. Le chômage qui affecte 27 millions de Brésiliens. Le travail précaire qui atteint 41% des travailleurs. La misère qui ronge plus de 15 millions de personnes. Le suicide, quatrième cause de décès chez les jeunes. La Violence routière avec ses 19398 décès, seulement au premier semestre de 2018. Le Brésil est le quatrième pays au monde en matière de décès par violence routière.
Le regard du Samaritain – C’est le regard de la solidarité, du service et de l’engagement. Dans la scène où les assaillants ont vu une opportunité de profit facile, le Lévite et le prêtre ont vu une possible « entrave » à leurs programmes préétablis, le Samaritain a vu un frère qui avait besoin de soins urgents et immédiats. Il y a trouvé une occasion unique et sans précédent d’aimer.
IL FUT PRIS DE PITIE
Ressentir de la compassion, c’est s’approcher du Christ et, dans le même mouvement, se pencher vers les autres et construire une relation de révérence et de fraternité avec les biens de la création. Que faire face à tant de maux ? Les disciples et amis de Jésus sont au service de la vie. Ils rompent avec l’indifférence et visent la justice. La miséricorde est le mouvement du cœur qui est prêt pour la rencontre. C’est une initiative qui vient de Dieu, manifestée en Jésus-Christ, lorsque la toute-puissance divine touche la fragilité humaine de l’intérieur et de l’intérieur de chaque cœur humain appelé à devenir doux et humble tout comme le cœur de Jésus. Elle motive l’égalité et la justice. Vaincre la faim, le découragement social et économique, la dégradation de l’écosystème et la culture du jetable est la responsabilité de tous ! Le but de la vie chrétienne est de promouvoir la solidarité dans la construction du Royaume de Dieu. La restauration, la restitution, la reconstruction et la conversion sont des pratiques étroitement liées au carême et à la spiritualité chrétienne, attitudes qui nécessitent un engagement individuel et communautaire, ainsi que l’organisation, la coresponsabilité et l’engagement.
IL PRIT SOIN DE LUI
« Que chaque être humain ait la vie et la vie en abondance » (Jean 10:10). La campagne est une invitation à regarder vers la solidarité. La mission de Jésus est de révéler au monde le visage de la miséricorde et de la justice de Dieu. Promouvoir la justice est un acte de foi. La charité est le vrai sens de la vie. La charité sociale nous amène à aimer le bien commun. La justice ne sera jamais déconnectée de la charité.
L’être humain, qui reçoit l’affection divine et qui est appelé à cultiver la création, est également appelé à prendre soin de la vie avec l’affection divine sous toutes ses formes et expressions (Psaume 8, 4). La personne qui reçoit vraiment l’affection divine a le sentiment que nous sommes tous frères, indépendamment de l’origine ethnique, de la position sociale ou de la nationalité.
Nous devons être conscients que la vie est essentiellement samaritaine : elle prend soin de l’autre dans son sens le plus radical. Ce n’est qu’en Jésus-Christ et par son intermédiaire que nous apprenons à prendre soin et à être soignés.
Le Pape François nous exhorte en ces termes : « nous ne pouvons pas céder à l’obscurité de la déception, de la fatigue ou du désespoir. Le monde bouge grâce à des hommes et des femmes qui ont ouvert des fissures dans les murs, qui ont construit des ponts, qui ont rêvé et cru, même lorsqu’ils ont entendu autour d’eux des mots décourageants ou des critiques destructrices ».
– Le chrétien doit se sentir responsable de la vie de chacun et de ce monde, la Terre, notre maison commune. Qu’ils aient toujours le courage de la vérité, se souvenant toujours qu’ils ne sont supérieurs à personne. Chrétiens, cultivez des idéaux et ne vous découragez pas : si vous êtes tombé, levez-vous. Si l’amertume touche votre cœur, cherchez à prier pour être guéri par la tendresse de Dieu.
Dans cette Campagne de Fraternité 2020, nous sommes appelés à voir, à faire preuve de solidarité et à prendre soin de la vie qui en souffre. Nous marchons avec confiance vers un nouveau ciel et une nouvelle terre. Le carême est un temps pour découvrir la tendresse qui révèle le visage maternel du Dieu amoureux de l’être humain. Ce temps stimule à aimer, a prendre soin et accepter les autres. Le carême devrait stimuler l’Église à sortir d’elle-même, pour être celle qui va aux périphéries sans craindre de salir les sandales. Servir ! Voir ! Ressentir de la compassion et prendre soin de la vie est l’authentique programme de carême.
Pe Othon Etienne, spsj,
Curé de la Paroisse Santa Clara de Umuarama – Paraná/Brésil.