Pour honorer la mémoire de Monsieur Antoine SFEIR décédé le premier octobre dernier, nous publions ici un résumé de sa conférence donnée à Saint-Jacques en janvier 2008. A l’occasion de l’ouverture du cycle des conférences 2018-2019 à Saint-Jacques, nous avons une pensée spéciale pour ce grand homme, mais aussi pour ces proches et tous ceux et toutes celles qu’il a laissés. A eux nous présentons nos sympathies.
« Comment le Liban en est arrivé là ?
Les chrétiens ont-ils encore un avenir en terre d’Islam ? »
Dimanche 13 Janvier 2008 avec M. Antoine SFEIR
La venue d’Antoine Sfeir intra-muros a fait plus que salle comble. Il y avait des personnes debout. D’autres n’ont pu rentrer. (280/300 personnes). C’est dire l’engouement.
D’origine libanaise, Antoine Sfeir est journaliste, directeur de la rédaction de la revue « les cahiers d’Orient », président depuis 1990 du Centre d’études et de réflexions sur le Proche-Orient. Il enseigne au CELSA (Paris IV La Sorbonne), il intervient à l’IHEDN, à l’IHESS et à l’INALCO. Il est l’auteur d’une série d’études sur la région du monde arabe à destination de l’administration française, auteur de nombreux ouvrages sur les religions, sur l’Islam et l’islamisme, sur le communautarisme et la laïcité, sur le Moyen-Orient et sur les raisons véritables qui ont amené les américains à intervenir en Irak. Malgré toutes ces occupations, il a trouvé le temps pour venir nous entretenir sur un sujet ardu. Il s’est même proposé de revenir à Saint Jacques.
La complexité de la situation du pays fait que le nouveau président qui va se faire élire au Liban, ne devra pas être anti-syrien, antisaoudien, anti-français, anti-américain… mais il lui faudra toutefois, être un peu libanais.
« Comment le Liban en est arrivé là ? Et les chrétiens ont-ils encore un avenir en terre d’Islam ? ». Au Liban, aujourd’hui, il n’y a plus de tabou, on dit tout, on sort du mensonge. Mais pour bien comprendre la situation, il faut faire un peu d’histoire. Le pays, dès le IVème siècle, est une terre « refuge ». Il a connu de nombreuses occupations et migrations du fait de sa situation géographique.
– conquête islamique, qui mène le pays à la division en trois branches,
– le retrait des Chiites dans la montagne au VIIème siècle, parce que pourchassés par les Sunnites,
– le grand schisme entre l’Orient et l’Occident.
Rome s’aperçoit qu’il faut faire revenir les brebis perdues au bercail et en 1520 quand la France arrive au Liban, 17 communautés religieuses sont déjà sur place. Ils vont créer le Confessionnalisme : « expression du pouvoir vivre ensemble et du vouloir vivre ensemble ».
La France va doter le Liban d’une infrastructure : le port de Beyrouth. Puis les erreurs vont s’accumuler :
– Chrétiens et Sunnites ne représentent plus la majorité, il manque les Islamistes et les Chiites.
– La réception de 148 000 Palestiniens : main d’œuvre pas chère, installation dans des camps autour des grandes villes, population ayant un titre de séjour mais sans le droit au travail (sauf au noir).
– En 1952, les phalangistes et les étudiants de ce parti vont réclamer une université nationale. Auparavant il existait deux universités dont l’une dirigée par les Jésuites.
Cette université nationale verra le jour mais disposera d’un petit budget. Plus tard, se fera une université arabe.
– En 1954, 54 quotidiens se partagent la presse libanaise, (cela correspondrait en France à 2000 quotidiens). Toutes ces erreurs créent des réticences entre chrétiens et chiites, si bien qu’en 1960
le pays glisse vers le communautarisme. Nasser demande l’aide des Etats-Unis d’Amérique, il a voulu nationaliser le canal de Suez. Puis les Etats-Unis d’Amérique font entrer la France dans la communauté saoudienne. Dès lors, les dictatures vont de succéder.
Juin 1967, c’est la guerre des 6 jours et l’installation stratégique des Etats Unis au Liban. Ce qu’ils veulent, c’est le pétrole, le contrôle de l’aéronautique, des autoroutes de l’information sur le Proche et Moyen-Orient, et quand advient l’éclatement du monde arabe, ce que recherche le E.U. c’est d’être l’interlocuteur de tous les conflits de la région.
En 1975, la guerre s’installe au Liban, c’est l’appel aux armes. On quitte le « vouloir vivre en commun» pour le rejet ou la peur de l’autre. Les chrétiens vont aussi s’impliquer dans cette guerre, car au bout de 8 ans, le conflit devient guerre civile. En 1976, la milice chrétienne était une résistance, après, elle agit comme toutes les autres milices.
Devant la montée en force des Palestiniens, le Président vote un texte qui extrait un territoire du bien national. Ce sont les accords du Caire. Les camps de Palestiniens deviennent des camps de droits communs et c’est qui explique la violence.
En 1992, le Liban profite de la paix des armes, hélas par-dessous surgit une guerre sociale. Dès lors la classe moyenne va disparaître, c’est la loi de la mafia, de l’argent et le conflit libanais devient le conflit des autres.
Malgré tout, Antoine Sfeir garde un certain optimisme pour le Liban, car c’est un pays sans tabou, les chrétiens se retrouvent dans tous les blocs. Aucune cohabitation n’existe entre les grandes communautés musulmanes : chiites, sunnites et druzes. Les chrétiens sont une communauté « tampon ». Ils savent gouverner avec tout le monde. Un regret : la politique actuelle ne fait rien pour retenir les jeunes aux pays.
En conclusion, Antoine Sfeir déclare : « Il a fallu que je devienne citoyen français, laïc et républicain et non pas seulement un citoyen communautaire pour comprendre qu’être Libanais, c’est un message, et pas seulement, c’est aussi une idée et toutes les guerres peuvent tuer des Libanais, quelles que soient leurs confessions, toutes les guerres peuvent tuer des femmes et des hommes, mais aucune guerre n’a encore réussi à tuer une idée ».
Hervé et Janine Quéré
Lettre de Saint-Jacques – Mars 2008.